Hirson, seconde gare de France...

Nous n’allons pas nous poser la question de savoir qui a existé en premier : la poule ou l’oeuf... Mais en ce qui concerne la ville d’Hirson, si on en trouve trace au plus loin dans le temps, il est certain qu’elle n’a connu son développement qu’avec l’essor des chemins de fer.
Lorsque les chemins de fer commencent à rayonner autour de Paris, Hirson n’est qu’une obscure petite bourgade, qui n’est reliée à Paris (depuis le 30 août 1870) que par une voie unique (elle ne sera portée à double voie qu’à partir de 1881). Elle peut conduire, via Anor, vers la Belgique, par Chimay, Marienbourg, et par la vallée de la Meuse vers Namur.
A cette époque, la grande rocade Valenciennes-Thionville ne figure même pas dans les pensées des concepteurs. On relie alors des petits bouts à d’autres petits mor-ceaux, en fonction de besoins locaux. La concession de la ligne Aulnoye-Anor remonte à 1862. La concession de la ligne Hirson-Charleville par Auvillers-les-Forges, date de 1884, et celle d’Amagne de 1885. L’origine de la ligne de Maubeuge à Fourmies, remonte à 1859, mais au début, ce n’était qu’un embranchement particulier. Cambrai-Busigny-Hirson date de 1883, avec une ouverture au public en 1885.
La ligne qui sera la plus tardive sera celle de Guise à Wimy puis Hirson, ouverte - à voie étroite - , en 1910, et mise à la largeur normale en 1918.
Le chemin de fer de Vervins vers plomion et plus loin encore est inauguré en Octobre 1912.
Ce qu’on appellera ensuite l’étoile de Hirson, existe depuis 1885.
En 1870, la gare d’Hirson, et la ligne Hirson - Laon - Soissons jouera cependant pleinement le rôle pour lequel le ministère de la guerre avait financé la portion Hirson - Laon. Jugée trop honéreuse et peu rentable par la compagnie des Chemins de Fer du Nord, les travaux avaient été arrêtés à cause d’un coût jugé trop élevé. Il fallait franchir vallées et rivières sur de hauts et coûteux viaducs. Le 31 décembre 1869, le journal de Vervins publiait :
    «Le Chaudron.   - Les travaux de remblais sur la ligne de Soissons à la frontière belge sont à peu près abandonnés. On ignore ce que vont décider les ingénieurs de la compagnie du Nord. Le nouveau projet adopté, quel qu’il soit, ne pourra guère être terminé que d’ici à deux ans, en supposant que l’on n’éprouve aucun mécompte. Cependant, il peut fort bien s’en produire.

La construction d’un viaduc même peut rencontrer de grandes difficultés : les fondations ne reposeraient que sur de l’argile. Cet ouvrage d’art formerait une courbe très prononcée dans le seul sens de la poussée des terres, ce qui pourrait faire craindre pour sa solidité.
Ainsi, la ligne de Soissons à la frontière belge, concédée il y a sept ans et qui devait être livrée à la circulation depuis près de trois mois, ne le sera guère avant deux ou trois ans.»
Le Ministère de la guerre avait donc pris conscience du fait que la place forte de Sedan, n’était reliée à Paris, que par une ligne de chemins de fer qui passait par Reims, et qui était particulièrement exposée aux éventuelles avancées de l’armée Allemande. Le Ministère de la guerre avait d’ailleurs fait construire, dans la gare, un raccordement militaire, dit «raccordement de Paradis».
Qu’adviendrait-il si Sedan était coupé de Paris, si cette ligne était investie par les Allemands ? La seule solution serait alors de quitter Sedan par la ligne de Charleville à Hirson. Encore faudrait-il que Hirson soit relié à Paris... Hors, il manquait la portion Hirson - Laon. Le ministère de la guerre négocia alors avec la Compagnie du Nord, et la portion Hirson Laon fut terminée - peu avant la guerre de 1870 - à voie unique. Et elle remplit le rôle pour lequel on l’avait voulue. La garnison de Sedan fut sauvée et rapatriée vers Paris, grâce à un exploit des cheminots qui réussirent à coordonner la circulation des trains montants et descendants sur la voie unique, à la vitesse moyenne record de 28 km par heure, après que fut prise par les allemands une portion de la ligne Sedan - Reims (entre Rethel et Mézières).
Cette garnison comportait 2600 hommes d’infanterie, deux régiments de cavalerie, quatorze batteries et un parc d’artillerie, des détachements du génie et de la gendarmerie. L’opération aura lieu entre le 30 août et le premier septembre, avec 66 trains, formés de 2429 véhicules.
L’opération fut difficile, car la dernière section, entre Soissons et Hirson n’était qu’à une seule voie, et le dernier tronçon, entre Vervins et Hirson n’était pas terminé ; l’ordre fut cependant donné, et l’opération réussit sans incident. Là, subsistaient des pentes de l’ordre de 13 à 14 mm par  mètre, ce qui représentait une limite supérieure à ne pas dépasser.
Parfois, la voie avait été fixée sur des empilements de traverses, lorsque le remblai n’avait pu être posé.
Par la suite, jusqu’en 1885, Hirson vit sa vie de petite gare ; dans l’année 1885, la région Nord enverra 146 000 tonnes de marchandises seulement, traités en 40 000 wagons sur l’année.
C’est que la guerre de 1870 a ralenti le développement économique. Le minerai de fer ardennais est épuisé. Il faudra la découverte par Thomas et Gilchrist, de la déphosphorisation de la fonte que l’on peut extraire de la minette lorraine, Jules Faévre ayant obtenu au traité de Francfort que les gisements lorrains restent français, pour commencer à mettre en valeur le bassin de Briey, et permettre au minerai lorrain de répondre aux besoins croissants de l’industrie sidérurgique française.
Les bassins sidérurgiques de la Sambre et de l’Escaut ont besoin du minerai de l’Est ; le bassin de Briey a besoin des fines et du coke du Nord ; la navette métallurgique va naître ; elle deviendra peut-être la plus importante du monde, et finira par faire de la gare d’Hirson la seconde  de France.
Mais à cette époque, une locomotive appartenant au réseau Nord ne peut pas circuler et tirer un train sur un autre réseau, en l’occurence le réseau Est. Et inversement. Tous les trains venant du Nord s’arrêtent donc à Hirson, pour être remaniés, en fonction des directions finales, et changent de locomotive. De même pour les trains qui viennent de l’Est. Car Hirson est à la limite des deux régions ferroviaires.

La compagnie du Nord recrute et installe son personnel  à Buire ; La «cité» de Buire va voir le jour...
La compagnie de l’Est fait de même à Hirson, et naîtra la «cité des Champs-Elysées».
L’augmentation du trafic est fulgurante : il double en 1886, puis augmente de 40 000 wagons par an jusqu’en 1890, où les échanges du Nord vers l’Est atteignent le million de tonnes. Il faut agrandir la gare. En 1891, on lui ajoute dix nouvelles voies, et une halle de marchandises de 1 800 m². Le matériel ferroviaire progresse, lui aussi. Si au départ, les wagons étaient de 10 tonnes (avec une tare à 5 tonnes), ils passent progressivement à 12,5 tonnes, puis à 15 tonnes, et enfin à 20 tonnes en 1898.
Dès 1876, des crédits avaient été votés pour la création d’une zone militaire : «Le Courrier de l’Aisne», 14 juillet 1876 :
«Nous tenons de source certaine, dit «Le Nord de la Thiérache», que le Conseil d’Administration de la Compagnie du Nord vient de voter une somme de 800 000 Francs pour la construction du quai militaire et commencer l’agrandissement de la gare. Les travaux commenceraient sous peu.»
Commercialement, pour la sidérurgie française, la concurrence de la Ruhr est de plus en plus importante. Les compagnies de chemins de fer vont alors soutenir la sidérurgie (mais n’oublions pas que les compagnies de chemin de fer sont des compagnies privées dont les actionnaires sont aussi actionnaires de la sidérurgie, (ou alors ce sont leurs cousins...), en créant des tarifs spéciaux pour les trains complets, et en exonérant ces entreprises du droit de raccordement nécessaire aux expéditions. En retour, il est clair que les houillères du Nord vont augmenter leur trafic. Les compagnies s’y retrouvent d’ailleurs, car elles font assurer par leur client, des opérations qui sont coûteuses pour elle, comme le tri et la formation des trains. Pour l’usager, l’acheminement est accéléré. Pour les compagnies, la rotation du matériel est plus rapide. Tout le monde est bénéficiaire. Les compagnies du Nord et de l’Est, mettent alors au point, de façon concertée, deux tarifs (les tarifs 107 et 113), qui concernent des trains complets, de charges allant de 250 à 800 tonnes brutes. Cependant, il subsiste un tarif par rame de 100 tonnes, et un prix par wagon.
Une nouvelle locomotive, la 031-130, est mise au point par l’ingénieur Mallet. Elle peut assurer la traction de rames allant jusqu’à 950 tonnes, ce qui fait passer le tonnage moyen des rames circulant sur la «navette minière» à 850 tonnes, au lieu des 600 tonnes permises par la 040. C’est en 1905 que le réseau Nord fait étudier une nouvelle série de machines destinées à la traction des trains marchandises lourds. Pour éviter l’usage de machines en double-traction, le Nord fait construire des locomotives articulées à deux trains moteurs.

Ces machines possèdent une chaudière fixée sur une poutre porteuse, qui prend appui sur deux ensembles moteurs articulés, appelés trucks. Cette disposition qui dérive du système Meyer-Kitson est totalement différente du système Mallet à laquelle cette série de machine est souvent apparentée, car avec ce dernier système seul l’ensemble moteur avant est mobile. Ce système s’apparente plus dailleurs à mon avis au sytème Garrat, à la différence que sur les 031+130 Du Bousquet, le bac à charbon est porté par la poutre, l’approvisionnement en eau étant quant à lui pour la moitié arrière porté par la poutre, les bâches à eau avant étant portées par le truck avant.
Le caractère original de ces locomotives en fait donc des machines «Du Bousquet». De plus, disposant de deux trains moteurs, il était simple d’utiliser la vapeur haute pression du train arrière pour l’envoyer au train avant, ce qui leur  vaut d’être peintes en brun dit «chocolat» comme toutes les machines compound du réseau.
Les 48 locomotives qui sont construites seront affectées aux dépôts du Bourget et d’Hirson, et assurent les trains lourds Hirson-Valenciennes et Le Bourget-Lens, essentiellement des trains de charbon.
Le freinage est aussi amélioré, avec l’apparition du freinage à air comprimé.
Parallèlement à ce développement de la gare, la ville d’Hirson connaît une profonde mutation. C’est que cet afflux de personnel vers la gare, entraîne des besoins nouveaux ; se loger, se nourrir, se vêtir... Bref, vivre. Il faut donc des logements, des commerces, des infrastructures... Non seulement la gare emploie de plus en plus de personnes, mais chaque fois qu’elle se développe, qu’elle s’étend, cela donne lieu à d’importants travaux, qui nécessitent une très importante main-d’oeuvre.
En fait, la ville d’Hirson, celle de Saint-Michel aussi, avait très tôt adopté un position favorable à l’implantation des chemins de fer.  Après une séance extraordinaire de son Conseil Municipal, du 25 octobre 1846, le communiqué suivant est publié :
«L’an 1846, Le 25 octobre .
Le Conseil Municipal du bourg d’Hirson, s’est réuni en séance extraordinaire, en exécution de la lettre de M. le Sous-Préfet de l’arrondissement de Vervins, en date du 16 octobre courant, à l’effet de discuter les avantages et les inconvénients qui pourraient résulter pour la commune de l’établissement du chemin de fer de Valenciennes à Mézières, avec embranchement sur Cambrai..
... Considérant que le bourg d’Hirson, situé à l’extrémité Nord de la France est privé de toute espèce de voies de communication tels que chemins de fer et canaux, pour l’exploitation avantageuse de nombreux produits de son sol et de son industrie et que les importations qui lui sont indispensables, sont également faites avec lenteur, difficulté et à des prix élevés, que l’établissement d’un chemin de fer passant à Hirson ne pourrait être que très avantageux pour la commune et y amener la prospérité, le mouvement et la vie.
Le Conseil Municipal, après en avoir délibéré, est unanime pour exprimer les voeux que le projet de construction du chemin de fer de Valenciennes à Mézières, passant par Hirson se réalise dans le plus bref délai que possible... »
Déjà en 1836, Le Vicomte Van Leempoêl, sénateur belge et directeur de la verrerie de Quiquengrogne (commune de Wimy), avait démontré aux élus les avantages des chemins de fer.
A cette époque, le bourg d’Hirson compte 2144 habitants, 3214 en 1856, 3238 en 1861. Pendant cette période, avant l’installation du chemin de fer, l’accroissement de la population est annuellement très faible.
1886 : 4809 habitants ; 1901 : 7461 habitants ; 1911 : 9638 habitants.
En 50 ans, de 1861 à 1911, la population d’Hirson augmente de 297%. Pratiquement, elle triple. Pour la même période, la population en française passe de 37 386 000 habitants à 41 420 000, soit une augmentation d’environ 10 %. A Buire, pour cette période, l’augmentation est moins spectaculaire ; la population passe de 311 habitants en 1861, à 379 en 1911.  Il s’était passé quelque chose de spécial à Hirson. C’est sur le territoire de cette ville que, pour cette période, se ressentent les effets de l’installation de la gare, et de la gestion du trafic ferroviaire.
Chacune des compagnies, a recruté du personnel, pour le fonctionnement de la gare.
En 1913, on compte en gare d’Hirson 206 per-sonnes pour l’exploi-tation, et 204 pour la traction. Il faut ajouter à ces chiffres, celui du personnel d’entretien, des visiteurs, ainsi que celui des agents des trains. Sachant qu’à cette époque, la composition moyenne de la famille française est de 4 à 7 enfants par famille, on comprend le pourquoi de l’augmen-tation de la population hirsonnaise. Mais il faut peut-être également compter les emplois indirects : construction, métiers liés à l’habitat, commerces en tous genres...

La ville d’Hirson elle même est une ville devenue très commerçante.
L’apogée est située en 1929. Le personnel de la gare comporte 229 em-ployés à la traction ; 450 à l’entretien ; 162 pour les visiteurs ; 304 pour l’exploitation ; 170 agents de trains, employés par la Compagnie du Nord, et 20 employés par la Compagnie de l’Est. La population de la ville est en 1926 de 11344 habitants ; celle de Buire de 800 habitants
Les Compagnies forment leur personnel. Elles ont donc installé des ateliers de formation, recruté leur personnel de formation. Mais elles ont aussi installé des infrastructures importantes  : hôtel pour les mécaniciens, qui doivent bien se reposer dans leurs voyages, leurs ser-vices ; piscine, stade, associations culturelles, bibliothèques...
La croissance de la ville d’Hirson, est donc bien liée à l’installation et au développement de sa gare.
Un nouveau projet d’extension de la gare est adopté, juste avant la guerre de 1914-18 : celui de créer un faisceau de 22 voies de 600 mètres, qui donnera naissance au garage de Buire. La guerre gèlera cette extension.
Les Allemands, qui occuperont Hirson pendant quatre années, ajoutent à la gare un nouveau chantier, celui de Batavia. Mais il est mal conçu, et difficile à gérer.
Quand le 11 novembre 1918, le clairon de l’armistice sonne à Haudroy, l’armée française vient, le même jour, de libérer Hirson. Les cheminots s’engouffrent dans la gare. Juste avant leur départ, les allemands ont fait sauter des ponts, des viaducs, et toute circulation est interdite. Il faudra attendre le 1er avril 1919 pour voir le premier train circuler à nouveau. Tout d’abord infime, ce trafic atteindra 2000 wagons par jour en octobre 1919.
La donne éco-nomique et politique a changé, avec la guerre.
La Lorraine et l’Alsace sont rede-venues françaises. Cela veut dire que la Ruhr n’impose plus son emprise avec la fourniture de charbon. Le bassin lorrain se tourne alors vers le bassin houiller du Nord. Les Vosges peuvent fournir des bois de mines, dont ont besoin les bassins houillers du nord, et de minerai de fer de Lorraine.
Il faut reconstruire, refabriquer, et les bassins sidérurgiques du Nord ont de plus en plus besoin des minerais de Lorraine.
De nouveaux échanges s’installent : produits de tissage et de filature vers les régions Est ; ciments et bois de mines vers les régions du Nord, soit pour la consommation intérieure, soit pour l’exportation vers l’Amérique du Sud, en particulier, à travers le port de Dunkerque. Dès 1920, le Chemin de Fer du Nord reprend son projet d’extension arrêté par la guerre. En octobre de la même année, le nouveau dépôt et le raccordement sud sont mis en service.
L’année des records sera l’année 1929.
L’exploitation dispose de 304 agents, la traction de 229, les visiteurs de 162. La Compagnie du Nord emploie 170 agents des trains.

Celle de l’Est emploie 20 personnes. En 1926, la population d’Hirson atteint 11 344 habitants.
Le trafic passant par Hirson est impressionnant :
Coke du Nord allant vers la Lorraine :    
1 721 000 tonnes
Houilles et fines à coke vers la Lorraine :
500 000 tonnes
Minerai de l’Est vers le Nord :
2 275 000 tonnes
Minerai de manganèse (du Nord vers l’Est) :    115 000 tonnes
Demi-produits métallurgiques (Nord vers Est) : 520 000 tonnes
Fers et aciers laminés, rails de la Loraine vers Nord : 267 000 tonnes
Produits métallurgiques lorrains exportés par Dunkerque : 450 000 tonnes
A ces chiffres, s’ajoutent ceux qui interesseraient le Luxembourg et la Sarre.
Pour la Sarre :     119 000 tonnes
Pour le département des Ardennes (houille) :    70 000 tonnes
Peignés et filés du Nord pour Sedan et l’Alsace :    30 000 tonnes
Marchandises diverses de Dunkerque vers Bâle :    60 000 tonnes
En sens inverse :
Bois de mine de Moselle pour le Nord : 100 000 tonnes
Ciment de Lorraine pour l’exportation par    Dunkerque :115 000 tonnes    
En provenance de la Sarre : 300 000 tonnes
En plus de ce trafic, existe à Hirson, par le Chemin de Fer de Chimay, une circulation de trains de charbons belges, hollandais et allemands, qui se rendent dans la région parisienne.
Au total, en 1929, le trafic échangé à Hirson entre le Nord et l’Est, atteint 10 500 000 tonnes, dont plus de la moitié pour la navette métallurgique. La moyenne journalière de wagons manoeuvrés atteint 3000.
De plus, la ligne Cambrai-Busigny-Hirson, qui permet d’expédier vers l’Est la houille du Pas-de-Calais, est maintenant ouverte la nuit.
On ajoutera encore à ces trains de marchandises, 9 trains rapides et express, 33 omnibus, au départ ou au terminus d’Hirson.
Même si l’important trafic de Saint-Michel Sougland ne passe plus maintenant par Hirson, et est totalement géré par la Compagnie de l’Est, Hirson est devenu la seconde gare de France.
La vitalité de cette artère ferroviaire mettra même en échec le projet de canal du Nord-Est, face à la rapidité et à la régularité du service offert par les che-minots.
La population de la ville a atteint  
11 000 habitants, mais avec les cités, les environs, il s’agit d’une agglomération de 20 000 habitants.
Ce développement s’est bâti sur un paradoxe, un non sens commercial... Je ne veux pas de tes locomotives sur mon réseau, et inversement. Conséquence, on arrête à la frontière entre nos deux concessions, et on reconstitue les trains avec d’autres locomotives. En 1932, les deux Compagnies prennent la décision commune de former et d’acheminer, au départ des principales gares des deux réseaux, des trains directs n’ayant plus à être soumis au transit d’Hirson. Cette décision sera le point de départ d’une suite de simplifications, qui amorceront le déclin de la gare d’Hirson. On ne trie plus les wagons à long parcours ; les relais des agents de trains et du personnel de traction ne s’y font plus. Les échanges de machines et de fourgons non plus. Ainsi, entre 1931 et 1933, le nombre de wagons manoeuvrés journellement tombe de 2906 à 508.
De plus, la Sarre repart dans l’économie allemande, et on assiste en général  à un déclin de la sidérurgie. En 1935, on constate  un point bas des échanges, avec 5 500 000 tonnes. Mais en 1937, les tensions internationales ravivent les besoins en armement et en acier, et le chiffre remonte à 7 millions de tonnes.
Les opérations de transit des colis de détail sont elles aussi simplifiées. C’est le commencement du déclin de la gare. Le triage de Buire, le raccordement de Paradis, le raccordement Sud, sont fermés, à l’exeption de 9 voies du triage de Buire.
L’effectif d’exploitation de la gare est ramené à 205 agents, puis à 186 en 1936, mais remonte à 225 en 1937, sous l’effet de la semaine de 40 heures. Cette année là, le personnel de traction croît de 23 unités. Mais en 1939, la durée hebdomadaire du travail remonte à 42 heures, et le personnel exploitant est ramené à 215 agents.
Lors de la guerre de 1939-45, des bombardements se chargeront de détruire ce qui restait de Batavia, ainsi que les installations de Buire.
La fin du transit, la chute du trafic des chantiers de transbordement du détail, feront qu’en 1945, on ne reconstruit rien de Batavia, ni des garages de Buire.
On rétablit seulement un petit faisceau de 6 voies, au droit de la tête Ouest du triage. On reconstruit également le dépôt, ainsi que le triangle de tournage.
En 1955, l’effec-tif  de l’exploitation est ramené à 104 ; le personnel des trains est à 36 ; le personnel du matériel et traction est ramené à 240.
La desserte des lignes locales, autour d’Hirson, est moins souvent assurée... Malgré tout, les tonnages transportés restent sensiblement stables. C’est la modernisation de l’ensemble qui est à l’origine du déclin de la gare.
La gare aura vécu des heures de gloire, et pas toujours facile-ment...
En 1906, alors que le personnel des compagnies est quasiment sous régime militaire, une grève très dure va voir le jour.
Un chef de gare d’Hirson, Henri Bourillon, va la vivre, et Pierre Hamp (lui même) la racontera dans un de ses ouvrages : «Le rail» ou : «La peine des hommes».
Né en 1876 à Nice, Henri Bourillon débute dans la vie comme pâtissier et cuisinier. Après son apprentissage et des stages en Angleterre et en Espagne, il se présente en 1900 à l’université populaire de Belleville, où il est formé entre autre par Henri Baulig, Paul Desjardins et Jean Sclumberger. A ces rencontres s’ajoutent les contacts avec les cercles politico-littéraires des «Cahiers de la quinzaine» de Charles Peguy, et de «l’Union pour la vérité».
Après une période de deux ans à l’université populaire, il entame une carrière de fonctionnaire auprès de la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, qu’il termine en 1908 comme sous-chef de gare (au triage). C’est à Hirson. Mais en plus, il a obtenu, pendant cette période, un diplôme d’Ingénieur civil, et d’inspecteur du travail indépendant.

A cette époque, on ne connaît pas beaucoup Henri Bourillon. Les pressions ont été telles, après les grèves, que le chef de gare démissionne. On ne licencie pas, dans la bourgeoise Compagnie des Chemins de Fer du Nord du Comte de Paris, un chef de gare... Ce serait la preuve d’une énorme erreur de recrutement...  On ne veut plus connaître Henri Bourillon, mais on commence à entendre parler d’un journaliste, romancier,  sous le pseudonyme de «Pierre HAMP».
Ses fonctions d’inspecteur du travail  lui permettent de côtoyer dans quantité d’entreprises, des gens très divers, à tous les niveaux de la hiérarchie, et de bien sentir et comprendre les rouages du monde du travail.
Son oeuvre reflète toute son expérience, qui relève du vécu. On l’appelle souvent «Le chantre de la peine des hommes». Il a été abondamment lu, surtout dans les pays de l’Est, où il était, jusqu’en 1927, l’auteur le plus traduit.
Ses livres seront interdits de vente dans les bibliothèques des gares.
La date exacte de cette interdiction n’est pas connue («Le rail» est paru pour la première fois en 1912). En fait,  la direction de la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, a dû faire des pressions sur l’agence Hachette, pour qu’elle retire les livres de ses kiosques.  Cette mesure était à pressentir, car Pierre Hamp révèle, dans cet ouvrage, ou affirme, une multitude de vices et d’insuffisances d’organisation peu flatteuses pour les patrons du rail. Lui même ex-chef de gare, socialiste engagé, querelleur passionné, il n’a jamais hésité à mettre «les pieds dans le plat», en donnant des noms connus à ses héros. L ui même dit : «Quand j’ai publié «mes métiers», les patrons pâtissiers de Paris [... ] m’accablèrent d’injures dans leurs réunions et se concertèrent pour m’intenter un procès.»
Portrait :  (extrait d’un article du journal «Le peuple» (à Bruxelles), par Frédéric Denis, du 26 novembre 1911 :
«Par le vêtement et par l’attitude, Pierre Hamp est resté le petit fonctionnaire, qui n’a point souci d’en imposer à la badauderie. Mais la tête se devine solide, formée pour l’effort tenace, et l’oeil est vif, qui interroge plus qu’il ne répond...
C’est donc une question ouvrière que Pierre Hamp évoquera, de nouveau, dans ce livre. Nous parlons du mouvement ouvrier en France. L’auteur de «La peine des hommes» est resté membre de son syndicat, affilié à la vieille C.G.T.. Au point de vue politique, il ne s’est pas séparé du parti Socialiste. Il refuse d’adhérer au communisme, tel que le prêchent les Cachin, les Vaillant-Couturier, qui ont démembré le parti de Jaurès. et ce nom jeté dans l’entretien suscite un bel éloge du tribun disparu, de celui dont Pierre Hamp a écrit, dans les «européens» :
... «C’est un grand et terrible honneur que de mériter l’attentat. Quand un penseur est si redoutable que ceux qui lui donnent tort ne peuvent lui répondre que par l’assassinat, le haussent dans leur estime et leur rage au niveau de la mort, ils lui confèrent une majesté immense. Tout le monde n’est pas digne d’être tué».
Jaurès, me dit Pierre Hamp, maintenait l’unité de la classe ouvrière en France. Il dominait et il entraînait. Il était à ce titre un aristocrate, dans le sens véritable du mot. De tels hommes nous manquent aujourd’hui.
Une ombre a voilé les yeux vifs. Et comme je reviens à «La peine des hommes» :
Vous savez que je suis complet, me dit, en terminant, mon interlocuteur/ «Le rail» était déjà interdit dans les gares. Voici que la congrégation de l’Index a jeté l’anathème sur le «Cantique des Cantiques».
En sorte que Pierre Hamp a contre lui, maintenant, deux forces d’oppression : la religion et l’argent. Il ne s’en porte pas plus mal, et ses livres non plus. Il n’aura jamais contre lui le travail, la force qui seule est appelée à demeurer.»
Après avoir lu «Le Rail», Tristan Bernard dira :
«Et ce pauvre Zola qui se croyait réaliste...»
Peut-on qualifier son oeuvre de romanesque, dans la mesure où il s’agit d’une transcription de situations vécues ?  Aujourd’hui, il faudrait plutôt dire qu’elle est  autobiographique.
Pierre Hamp s’est retiré de la vie littéraire après la libération. Il a exercé une réelle influence entre les deux guerres, et a su intéresser la jeunesse aux problèmes de la classe ouvrière engagée dans la lutte pour une vie meilleure.
Henri Bourillon décède en 1962.
Les mots-clé de son oeuvre, et de recherches à son sujet, seront anarchisme, politique, religion, socialisme.

Une biographie et une étude de son oeuvre ont été récemment écrites et publiées par  les éditions Harmattan, 5-7 rue de l’école polytechnique - 75005 PARIS  dans la collection «Mémoire du Travail», sous le titre :
Pierre HAMP, Inspecteur du travail et écrivain humaniste. 1876 - 1962
Par C. Baillat, J-J. Guéant, D. Guyot, P. Largesse, B. Laurençon, M. Petit, M. de Rabaudy, J. Rabouet, Y. Roupsard .
Coordination Dominique GUYOT.

 

JMG